L'histoire du châtaignier en Cévennes
Que je me présente d'abord...
je suis un bel arbre noble, aux fruits intéressants si on veut......
l'ami incontestable de l'homme ....
notre respect et entretien mutuel a créé un lien harmonique durable .....
en France depuis au moins le miocène ...
Je me porte bien entre 300 et 800 cent mètres d'altitude si c'est pour produire de beaux fruits. Au-dessus de cette altitude certaines des expositions très variées du Massif Central et alentours me conviennent aussi, même pour des fruits , mais en général à plus de hauteur je sers plutôt pour le bois ou le tanin.
Je suis productif et très peu exigeant quant au sol ; je m'adapte bien au sol acide et même à une terre pauvre. J'aime un climat assez chaud.
Pour des variétés différentes j'aime des sols légers, et frais et je déteste des sols trop humides, compacts, mal aérés ou calcaire.
Quant au climat :
- méditerranéen (été chaud et sec),
- maritime atlantique (hiver doux et été pluvieux)
ou continental (hiver rigoureux et été chaud)
Ainsi toutes les régions d'origine géologique ancienne me conviennent. Autour des Cévennes ça correspond avec les 4 départements occupés par les Celtes : l'Aveyron, le Gard, l'Hérault, l'Ardèche et la Lozère.
Je suis sensible au gel précoce d'automne et d'hiver et particulièrement aux températures froides pendant la floraison femelle au printemps.. Je crains grands froids et brouillards.
Mes feuilles dentées et allongées paraissent relativement tard, en mai en moyenne.Dès juin j'ai des longs chatons males et des fleurs femelles dont les stigmates desséchés formeront "la torche" du fruit, opposée à la "cicatrice" ou ''ombilic".
Pour des beaux fruits il faudra me greffer. J'atteins ma pleine maturité à 35 ans, je reste bon producteur jusqu'à 70 ans et peux vieillir plusieurs siècles, eh oui..
Mes châtaignes, fruits plus classiques que des marrons, ont en général un goût de bon à très bon et un calibre petit ou moyen. (Autrefois le calibre des châtaignes correspondait aux moyens techniques des manipulations, transformations et conservation. )
La différence principale entre châtaigne et marron est la plus grande taille et l'absence du cloisonnement du marron . Cloisonnement ; quand la peau coupe l'amande à l'intérieur pour former une ou plusieurs cloisons.
La norme française aujourd'hui accorde le nom de marrons à des châtaignes cloisonnées à moins de 12% . Dans d'autres pays d'autres critères sont en vigueur.
Leurs utilisations diffèrent aussi.
Chaque année on m'améliore conformément aux exigences d'aujourd'hui.
En France, mon histoire débute autour de l'an 1000.
D'une part, l'extension de l'agriculture et l'accroissement de la population sont le résultat d'un réchauffement du climat pendant le Xème siècle .
D'autre part, la structure monastique connaît un vrai succès à l'époque comme seul lieu d'instruction.
Déjà plusieurs axes de pélerinage se croisent dans la région, souvent tracés sur les crêtes comme les drailles.
La ruée vers les monastères commence à les faire déborder.
Les Cévennes devinrent la terre d'accueil de nombreux petits ordres monastiques du Gévaudan et Montpellier , les monastères cévenols pouvant mieux assurer la subsistance d'habitants si nombreux.
Prieurés
Ce sont essentiellement des bénédictins et parfois des cisterciens qui construisent la première conception de beaucoup des hameaux et villages, d'abord comme prieurés, et qui commencent à marquer l'histoire de la châtaigneraie en Cévennes. Ce sont eux qui fondent des mas, défrichent, bâtissent dans certains cas des murs de soutènement, et qui plantent, greffent et entretiennent les châtaigniers.
En souvenir des fondateurs, de multiples villages portent des noms de Saints.
Ainsi un système autarcique basé sur la châtaigne va régner quelques siècles; avec leurs vergers, jardins, chèvres, moutons, cochons, poules, abeilles , les Cévenols s'autosuffisent.
Les évêchés était très nombreux , souvent propriétaires et seigneurs en même temps, ce qui leur confère un grand pouvoir très terrestre, concernant la gestion et le commerce des châtaignes.
1348 :à cause de la peste et des pillages par les routiers, certaines communes se replient sur elles-mêmes.
1350 En dépit des guerres religieuses et politiques et troubles populaires pendant les siècles qui suivent, l'économie prospère. Avec l'essor du commerce le pays se rouvre.
Outre les châtaignes, les Serges et cadis du Gévaudan ( pièces d'étoffe de laine fabriquées à la maison) procurent aux familles un petit revenu supplémentaire.
A la même époque, la faculté de médecine de Montpellier acquiert une grande renommée dans la spécialité chimie pharmaceutique.
XVI siècle: La progression du châtaignier est un fait, elle ne peut pas encore être précisément cartographiée à cause du système féodal renfermé.
La châtaigneraie prend la place de la forêt méditerranéenne qui consistait en chênes verts et pubescents, parfois des labours, céréales et vignes, elle devient la plus importante arboriculture..
Grâce aux châtaignes, les Cévennes n'ont jamais eu de famine, contrairement à la haute Lozère en 1709.
1750-1850 l'âge d'or de l'économie cévenole, les routes sont aménagées, établissant les échanges commerciaux et relations permanentes avec la plaine, la vallée du Rhône et la Méditerranée.
1840 La plus longue ligne de chemin de fer de l'époque relie la Grand Combe à Beaucaire.
La châtaigne prospère
Autour de 1850 ,l'âge d'or du châtaignier , il devient la base de l'alimentation, ce qui explique son surnom d'arbre à pain. Ses fruits nourissent une population de forte densité.
Grâce aux châtaignes, soie et mines,les Cévennes atteignent la plus forte densité jamais connue, 35 habitants/km2.
Le châtaigne prospère; la production dans la partie lozérienne formait un arc de cercle autour St. Germain de Calberte, et s'étendait loin dans l'arrière-pays, jusqu'à Ispagnac. La France produit autour de 500 000 t
Les bajanes-bajanas- blanchettes -châtaignons - châtaignes sèches sont l'unique monnaie d'échange pendant un moment.
Les blanchettes furent échangées contre le froment des terres calcaires, le fromage du haut pays , les olives et le sel de la plaine.
La récolte, de mi- octobre jusqu'à la fin décembre, est faite par toute la famille. L'aide des voisins et connaissances était payée à "mi-fruits", donc la moitiée de leur recolte. Les grosses exploitations emploient des ouvriers embauchés "à la loue" lors des grandes foires, comme à Barre des Cévennes sur la place de la loue aux Ayres. (lòga - les loues=contrat saisonnier, engagement au cours des 3 dimanches de fêtes entre fin septembre et début octobre.)
Comme unique salaire, les employés nourris et logés pendant la saison recevaient des blanchettes. La location d'une pièce de terre aussi se réglait en nature par un certain nombre de jours de ramassage.
En particulier les Caussenards, qui n'avaient pas beaucoup de travail à cette saison, appréciaient l'occasion de s'employer et ainsi également diversifier leurs provisions hivernales.
La maladie de l'encre
Dès 1870 la maladie de l'encre apparaît et abime gravement les châtaigneraies. Une moissisure sur les racines provoque une exsudation noir bleuâtre: l'encre et l'arbre meurt par la cime. La Phytophthora fait ravage.
Surtout les régions basses sont touchées. Pour compenser la perte de revenu, les agriculteurs augmentent leur troupeau, vendent leurs arbres aux usines de tanins et accélèrent ainsi le déboisement.
Recherches
Autour de 1900, on introduit des espèces et variétés d'Asie pour vaincre cette maladie.
Georges Couderc de l'Ardèche, déjà connu dans la viticulture par ses recherches de plants résistant au phylloxera , s'investit aussi dans la castanéi-culture par ses observations des hybrides.
le besoin de piquets
A la fin de la crise du phylloxera, la viticulture refleurit dans la plaine et manifeste un grand besoin de piquets.
Suite à la forte demande de bouscasses* , les vieux cœurs greffés ont été coupés pour favoriser la croissance des rejets sous la greffe, qui poussent vite et droit au ciel.
Une autre facteur de dégradation de la châtaigneraie est l'abattage rigoureux des châtaigniers pour l'usine de tanin.
L'exode rural et l'abandon des châtaigneraies
En 1911 ne restent que 20 habitants/km2
Entre 1930 et 1950, encore un grand nombre part quand les mines et hauts fourneaux (métallurgie) ferment les uns après les autres.
La chute des cours vers 1930 , la concurrence des autres cultures et la possibilité financière de diversifier son alimentation ronge encore un peu plus la popularité de la châtaigne.
Pendant la guerre l 'arbre à pain nourrit de nouveau la population et le déclin se stabilise pendant quelques années.
De nouveau beaucoup d'hommes sont mort pendant la guerre. Et de nouveau l'arbre empêche la famine .
Autour de1950 , l'exode rural prend des proportions dramatiques, et la production s'arrête presque totalement.
Elle servait à :
- la fabrication de tourteaux pour l'élevage porcin, vendu aux foires des basses Cévennes (Anduze)
- la fabrication d'alcool de châtaigne (à l'image des départements du Nord de la France qui utilisaient la betterave)
- l'exploitation pour le tanin, extrait dans les usines de St. Jean du Gard, du Vigan et de Génolhac , qui ont fermé l'une après l'autre dans les années 60.
Finalement, l'apparition du chancre de l'écorce vers 1960 semble être le coup de grâce pour les châtaigneraies.
Chancre de l'écorce - Endothia - Cryphonectria parasitica - c'est un champignon qui fait mourir le bois à la cime et aux extrémités des branches . Cette maladie se combat par traîtement et / ou par élagage, partiel ou coupe sévère selon l'étendue de la maladie.
L'INRA et le Ctifl (Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes) travaillent sur les greffes et les hybrides.
Heureusement le déclin s'est arrêté. La culture s'est remise en route et c'est avec plaisir que l'on peut admirer des jolies châtaigneraies et manger des fruits d'un goût fin et appréciable....
La culture, la rénovation, l'entretien et la création des vergers , et la consommation des châtaignes sont de retour dans les mœurs , avant d'avoir vraiment disparu. Il y a un nouvel intérêt pour l'arbre et pour ses fruits auxquels les Cévennes doivent tant.
La châtaigneraie cévenole est sans aucun doute un pilier social, culturel, économique, écologique du patrimoine. Elle tient une place importante et remarquable dans la fabuleuse architecture paysagère que nos ancêtres nous ont laissée.
Nous espérons vivement beaucoup de nouvelles initiatives nationales, régionales et départementales - pour la Lozère et le Gard, consacrées à la remise en état du châtaignier, sa santé, ses fruits, son environnement et ses mille ans d'histoire ...